Des cadeaux qui dérangent, aussi... - par L'Éditeur
J'écrivais précédemment que nombre de personnes issues de l'immigration me font envie par leur courage et leur ténacité de vivre. Mais il y a d'autres cadeaux de leur part que je n'ai pas pu reconnaître tout de suite. Des cadeaux qui m'ont mis en combat dans ma tête : à propos de ma façon d'être, tantôt comme personne, tantôt comme peuple.
Il s'appelle Amid. Il y a deux ans, il déménageait dans ma rue avec sa famille récemment immigrée. Un samedi matin, pendant que tout mon petit monde dormait, j'ai eu envie de lui écrire ce mot.
« Bonjour Amid,
Vous vous souvenez, l''hiver passé, ce matin de tempête ? J'étais en retard pour le travail, ma voiture embourbée dans la neige devant la maison. Vous êtes sorti de chez vous avec une pelle, et sans un mot vous m'avez dépanné. Sur votre visage un large sourire : ''Je m'appelle Amid..., et vous ?...'' Quelques temps après, j'ai su que ma fille côtoyait l'une des vôtres à l'école. Et même que nos conjointes s'étaient trouvées à l'épicerie ensemble. Puis, je vous ai aussi vu sortir de chez vous en donnant le bras à une dame âgée; on m'a dit que c'est votre belle-mère et qu'elle habite chez vous.
Vous ne vous en doutez pas, mais ce que je sais de vous m'a bousculé. J'avoue que j'avais certains jugements par rapport au pays d'où vous venez. Vous côtoyer m'a fait réaliser combien, ici, nous organisons la vie pour garder notre indépendance les uns des autres : laisser chacun vivre sa vie, ne rien devoir au voisin. On nous dit généreux, mais souvent distants; humains, mais avec un petit côté farouche. C'est vrai. À une couple d'occasions je vous ai vu en action, vous me semblez fonctionner avec le coeur : ça me repose de mon décor où tant de choses sont planifiées à partir de la tête. Votre souplesse me parle de mes raideurs. C'est curieux, souvent quand je vous croise, juste un salut et je continue mon chemin. Des fois j'aurais pourtant envie de m'arrêter...
Vous ne vous en doutez pas, mais dimanche dernier j'ai eu un long moment pensif, qui m'a ramené à vous. Je venais de rendre visite à ma mère : elle habite dans une résidence pour aînés en perte d'autonomie. Là j'ai vu là des gens seuls dans leur chaise; on m'a dit qu'ils n'avaient pas souvent de visite. Je repassais dans ma tête le film d'une semaine : nous courons pour aller au travail, pour amener nos enfants à la garderie; nous échangeons des textos peu engageants avec des gens qui courent eux aussi. Une vie compartimentée. J'ai eu tout d'un coup le sentiment que nous échangeons le sens pour la performance. C'est à ce moment que vous m'êtes revenu en tête. Vous m'avez l'air de vivre un peu différemment.
En fait, je voulais juste vous dire merci d'habiter dans ma rue... »
Je relis mon mot : il est toujours dans mon sac. Qu'est-ce que j'en fais ?...
Denis Breton
2015-04-18
J'écrivais précédemment que nombre de personnes issues de l'immigration me font envie par leur courage et leur ténacité de vivre. Mais il y a d'autres cadeaux de leur part que je n'ai pas pu reconnaître tout de suite. Des cadeaux qui m'ont mis en combat dans ma tête : à propos de ma façon d'être, tantôt comme personne, tantôt comme peuple.
Il s'appelle Amid. Il y a deux ans, il déménageait dans ma rue avec sa famille récemment immigrée. Un samedi matin, pendant que tout mon petit monde dormait, j'ai eu envie de lui écrire ce mot.
« Bonjour Amid,
Vous vous souvenez, l''hiver passé, ce matin de tempête ? J'étais en retard pour le travail, ma voiture embourbée dans la neige devant la maison. Vous êtes sorti de chez vous avec une pelle, et sans un mot vous m'avez dépanné. Sur votre visage un large sourire : ''Je m'appelle Amid..., et vous ?...'' Quelques temps après, j'ai su que ma fille côtoyait l'une des vôtres à l'école. Et même que nos conjointes s'étaient trouvées à l'épicerie ensemble. Puis, je vous ai aussi vu sortir de chez vous en donnant le bras à une dame âgée; on m'a dit que c'est votre belle-mère et qu'elle habite chez vous.
Vous ne vous en doutez pas, mais ce que je sais de vous m'a bousculé. J'avoue que j'avais certains jugements par rapport au pays d'où vous venez. Vous côtoyer m'a fait réaliser combien, ici, nous organisons la vie pour garder notre indépendance les uns des autres : laisser chacun vivre sa vie, ne rien devoir au voisin. On nous dit généreux, mais souvent distants; humains, mais avec un petit côté farouche. C'est vrai. À une couple d'occasions je vous ai vu en action, vous me semblez fonctionner avec le coeur : ça me repose de mon décor où tant de choses sont planifiées à partir de la tête. Votre souplesse me parle de mes raideurs. C'est curieux, souvent quand je vous croise, juste un salut et je continue mon chemin. Des fois j'aurais pourtant envie de m'arrêter...
Vous ne vous en doutez pas, mais dimanche dernier j'ai eu un long moment pensif, qui m'a ramené à vous. Je venais de rendre visite à ma mère : elle habite dans une résidence pour aînés en perte d'autonomie. Là j'ai vu là des gens seuls dans leur chaise; on m'a dit qu'ils n'avaient pas souvent de visite. Je repassais dans ma tête le film d'une semaine : nous courons pour aller au travail, pour amener nos enfants à la garderie; nous échangeons des textos peu engageants avec des gens qui courent eux aussi. Une vie compartimentée. J'ai eu tout d'un coup le sentiment que nous échangeons le sens pour la performance. C'est à ce moment que vous m'êtes revenu en tête. Vous m'avez l'air de vivre un peu différemment.
En fait, je voulais juste vous dire merci d'habiter dans ma rue... »
Je relis mon mot : il est toujours dans mon sac. Qu'est-ce que j'en fais ?...
Denis Breton
2015-04-18
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Dernière mise à jour: 7 février 2019